Les douars de Khenchela luttent pour leur survie : A mains nues contre le feu

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Les routes de Khenchela sont encombrées comme elles ne l’ont jamais été auparavant. Gardes-forestiers, gendarmes, policiers, pompiers, infirmiers, soldats et citoyens de tout âge sont sur le pied de guerre pour éteindre l’un des plus grands sinistres que la région ait jamais connu.

Les Aurès brûlent !» Relayé par les médias et les réseaux sociaux, cet appel de détresse, qui sonnait plus comme un cri de guerre ou un cri de ralliement, a jeté sur les routes de Aïn Mimoun, Tamza, Bouhamama et d’autres contrées de Khenchela, des milliers d’hommes armés de leur seul courage quand ce n’est pas d’une simple pelle ou d’une modeste pioche. Ils sont venus des quatre coins des Aurès et de pratiquement toute l’Algérie pour combattre le feu.

Très souvent à mains nues. Ils sont arrivés par cars entiers, par camions, juchés sur des tracteurs ou des motos, dans leur véhicule personnel ou simplement à pied. Tentant de sauver ce qui pouvait être sauvé encore de ces montagnes qui les ont vu naître et qui ont vu leurs ancêtres combattre pour leur liberté.

Sauver des arbres, sauver des vies, tel est le combat qui s’est engagé depuis maintenant un peu plus d’une semaine au cœur de l’une des régions les plus verdoyantes et des plus boisées des Aurès.

Les routes de Khenchela sont encombrées comme elles ne l’ont jamais été auparavant. Gardes-forestiers, gendarmes, policiers, pompiers, infirmiers, soldats et citoyens de tout âge, ils sont sur le pied de guerre pour éteindre l’un des plus grands sinistres que la région ait connu. Comme dans une vraie guerre, il y a ceux qui montent au front et ceux qui en reviennent.

Ceux-là sont épuisés, le corps entier noir de cendres. Etendus à l’ombre d’un pin d’Alep ou d’un genévrier, dans les aires de repos aménagées au bulldozer le long des routes. Ils tentent de reprendre des forces en mangeant un sandwich et en s’hydratant longuement, une bouteille d’eau à la main. Ils arrivent et repartent par dizaines.

Une armée de bénévoles

Des soldats du feu qu’une véritable armée de bénévoles s’active à soutenir. La logistique est assurée par des milliers de citoyens qui livrent le boire et le manger à toute heure du jour et de la nuit. Le ravitaillement arrive de manière incessante par fourgons ou par camions. Chacun offre ce qu’il a, ce qu’il possède.

Un vieux citoyen arrive avec une vingtaine de galettes encore chaudes et deux bidons de petit lait. «Tenez, s’il vous plaît, partagez-vous cela», dit-il à l’un des bénévoles étendus à même le sol. «Le feu était distant d’une vingtaine de kilomètres puis au bout d’un quart d’heure, nous nous sommes retrouvés cernés de toutes parts. Je n’ai toujours pas compris comment», dit Berrahaïl Saïd, jeune agriculteur rencontré à Aïn Guelmam, du côté de Tamza.

Visiblement encore sous le choc, il tente de mettre des mots sur ce cauchemar qu’il a vécu et qui s’étale encore sous ses yeux rougis par la cendre et la chaleur. «Vous voyez les résultats. Un verger de 1300 arbres fruitiers partis en fumée. On avait de tout : des pommiers, des abricotiers, des poiriers, des oliviers et en quelques instants, tout a été dévoré par le feu. C’était comme un film d’horreur. Voyez par vous-même, il ne reste plus rien», dit-il, montrant du bras des arbres calcinés jonchés de fruits brûlés.

«Ce qui fait le plus mal, est que ce feu on pouvait facilement le maîtriser mais nous n’avons pas d’électricité. Nous sommes en 2021 et on ne nous a toujours pas branchés au réseau. Pourtant, regardez, la ligne est à cent mètres, pas plus. Si on avait le courant électrique, on aurait pompé à partir de nos bassins et on aurait sauvé l’essentiel. Pas de courant électrique, nous sommes restés à regarder des années d’efforts partir en fumée. L’essentiel est que nous avons eu la vie sauve», dit encore Saïd qui a été brûlé au visage et au bras en tentant de sauver ce qui pouvait l’être.

«Ici, même les animaux ont brûlé…»

«Ce que je peux vous dire, cest que les autorités ont été absentes sur toute la ligne. La Protection civile est venue mais sans moyens, ils ne pouvaient rien faire que regarder le feu se propager. La responsabilité, je la fais porter aux responsables à Alger. Ils n’ont jamais donné les moyens. A partir du moment où vous n’avez même pas d’électricité pour un investissement agricole de cette taille, vous comprenez à quel point nous avons été marginalisés.

Nous sommes ces zones d’ombre dont parle le Président. Ici, même les animaux ont brûlé. Il ne reste plus que des hommes sans ressources», témoigne encore Saïd, la voix pleine d’amertume et de colère.

«Il aurait fallu tracer des pistes et diviser la forêt en parcelles. Cela n’a pas été fait. Cette forêt a déjà brûlé en 1957 durant la Révolution. Il a fallu 60 à 70 ans pour qu’elle repousse. Combien de temps faudra-t-il attendre pour la voir repousser ?» ajoute encore Saïd dont le regard se perd au loin sur les crêtes qui ne donnent plus à voir que des arbres calcinés et des tapis de cendres que soulève le vent en tourbillons.

A Ighzer n Tamza, les bulldozers s’activent à travers des pistes et les forestiers à débiter les arbres abattus. Des dizaines de véhicules bourrés de gendarmes vont et viennent. Des ministres sont annoncés dans le coin.

Cela fait une semaine qu’il a fermé sa boutique pour prêter main forte aux pompiers. Kamel Saïhi, animateur social à Kaïs, tient à rendre hommage aux gens du peuple. «Ikether khir echaab ! (Dieu bénisse le peuple !) Nous n’avons pas de houkouma. Il n’y a que le peuple, sa majesté le peuple !, dit Kamel. «Les pompiers sont venus dès le premier jour.

Cela, on ne va pas le nier mais leurs limites, c’est le goudron. Ils ne vont jamais au-delà. On ne peut pas les blâmer, ils n’ont pas de moyens et refusent de risquer la vie de leurs hommes. En plus, ils n’étaient pas accompagnés des hommes de la région qui connaissent les lieux pour les guider. Je dois dire que les gens sont venus de partout, qui pour aider, qui pour offrir ses bras, son temps ou son argent.

Beaucoup de gens ont perdu leurs maisons, leurs vergers ou leur cheptel. Il y a des gens pauvres qui ont tout perdu. Certains ont vu le troupeau de moutons qu’ils comptaient vendre à l’Aïd brûler sous leurs yeux», dit Kamel Attia, président de l’association caritative «Nass Tamza Mazal Lkhir». Cela fait une semaine que le feu s’est déclaré à partir du barrage de Kaïs et ses flammes sautaient comme des puces d’un coin à l’autre.

«Pas de quelques centaines de mètres. Non. Comment est-ce que ce feu sautait d’un endroit à un autre, parfois distant de plusieurs kilomètres, ça, on ne l’a jamais compris !», dit-il, faisant clairement comprendre qu’il y avait peut-être des mains criminelles derrière ce feu qui se propageait de manière aussi bizarre.

 «Ce qui nous importe, c’est notre forêt»

De Bouhamama, petite ville très verte, nichée au pied du mont Chelia et connue comme la capitale nationale de la pomme, on voit plusieurs colonnes de fumée s’élever dans les airs.

Des pans de montagne sont partiellement ou totalement brûlés selon la nature du terrain. Un hélicoptère de la Protection civile fait des va-et-vient avec une charge qui semble lilliputienne par rapport à l’ampleur des sinistres. Certains feux repartent après une accalmie.

Fares Aïchi, président de l’association locale de parapente «Ifriwen n Dihya», est présent depuis le premier jour du déclenchement de l’incendie comme tous les membres de son association. «Au départ, le 4 juillet, nous étions seuls à essayer de circonscrire le feu avec des pelles ou même à mains nues.

On jetait de la terre sur les flammes pour les éteindre. Les gardes forestiers et les éléments de la Protection civile étaient là aussi mais souvent en spectateurs. L’armée est arrivée au cinquième jour avec des bulls et des renforts. Eux aussi ont dit qu’ils n’avaient pas reçu des instructions pour s’attaquer au feu. Vive le peuple ! Je dois dire la vérité : c’est grâce aux gens du peuple qui sont ici par milliers si on est en train de gagner la bataille contre le feu», dit-il.

Après un petit temps de repos, Fares repart au feu avec ses amis. «Vous savez, ce qui importe à tous ces gens que vous voyez, c’est la forêt. C’est un bien inestimable qui appartient à tous.

C’est aussi le terrain sur lequel se ont été arrachées notre liberté et notre indépendance. Un verger, en quelques années, on peut le replanter, ce n’est guère un problème. Si je perds 500 arbres fruitiers, je peux en replanter 1000 ou 2 000. Par contre, si la forêt brûle, si ces cèdres centenaires brûlent, il faudra des décennies pour que cela repousse… Et encore !» dit Fares. Comme Fares, ils sont des milliers à tout donner, à risquer leur vie pour cette terre pour laquelle leurs ancêtres se sont sacrifiés.

Al Watan

juillet 18, 2021 |

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