Disparition : Kays Djilali, le photographe des Aurès est monté au ciel…

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Le photographe Kays Djilali est décédé le samedi 14 juin à la fleur de l’âge. Cet artiste prolifique natif de Constantine a publié trois ouvrages : « Aurès, vivre la terre chaouie », « La nuit sur la figure, portrait de migrants », avec une préface de Yasmina Khadra, chez Barzakh, ainsi qu’ »Alger sous le ciel », avec des textes de Malek Alloula, Nina Bouraoui et une préface de l’architecte Halim Faïdi.

Par Ali El Hadj Tahar

Et dans « 10 balades à Alger », ce sont ses photos qui donnent sa valeur au livre publié chez Barzakh en 2007, avec les textes incolores et inodores de deux jeunes auteurs, Karrine Thomas et Philomène Bon. Kays Djilali est également coréalisateur d’un film documentaire,  »Le piège », consacré au destin des migrants subsahariens au Maghreb (2006).

En mai 2016, il organise une exposition individuelle intitulée «Aurès, patrimoine, mémoire et résistance», présentée par l’association Les amis de Medghacen et qui a contribué au travail du photographe, qui s’était soldé par la publication d’un livre photo “Aurès, vivre la terre chaouie”, paru en 2011. Cette exposition qui montre la diversité des approches de l’artiste revêt un caractère iconographique en insistant sur le paysage, les habitants, leur culture tout en rappelant leur histoire durant les périodes noires du colonialisme. Basée sur la lisibilité et la clarté, les images offrent des vues des paysages, de leur beauté et de leurs variétés mais aussi des portraits et des sites. Des portraits, nombreux, figurent dans cette exposition, dont celle du sculpteur batnéen Mohamed Demagh, né en 1930 et décédé le 17 août 2018. L’objectif de Kays a aussi capté les portraits d’artisans, de maçons traditionnels, de chasseurs, de guides touristiques, ou encore de tapissiers qui restituent un pan de la société chaouia. Il nous présente le moudjahid Ahmed Gada, qui a pris le maquis à l’âge de 13 ans, en 1947, ou Mohamed Sisbane, l’armurier d’Oued Taga, à qui l’ALN a demandé en 1956 de réparer « au plus vite !» 1800 fusils à percuteur latéral…

Pour faire ce livre réalisé en collaboration avec la journaliste Nadia Bouseloua et l’écrivain Rachid Mokhtari, le photographe a pris pas moins de 8000 clichés. Le reportage a pris deux années, faisant un grand cercle autour des régions de Batna, Khenchla, Oum El Bouaghi et Biskra, en ouvrant les portes de maisons, d’ateliers, de lieux de toutes sortes, sans privilégier les endroits connus par rapport aux moins connus. Le patrimoine culturel et les sites paysagers sous aussi sous la focale, à l’instar des villes romaines de Zana, Lambèse et Timgad, les gorges d’El Kantara ou encore les Thiqliɛin (greniers collectifs) de Biskra. Avec une même sensibilité, Kays Djilali capte les anciens métiers, la tradition architecturale avec l’habitat bâti en terre, les fêtes populaires locales où règnent la femme et l’enfant et où le costume et la parure sont de mise. Kays ne fait pas non plus l’impasse des traditions agricoles dans les palmeraies et les plantations d’abricots et d’oliviers de N’gaous, Thit n Thagouth (Ait Yagout) ou Lambiridi (Châabet Ath Chlih). Kays n’est pas le fils d’une seule région, l’Est du pays, qu’on l’appelle terre chaouia ou Constantinois, puisqu’il a pris des photos dans d’autres coins du pays. Il a même consacré un livre à Alger, la capitale, vue du ciel, non pas parce que la proximité enlaidit les lieux mais juste parce qu’en 2006, l’architecte urbaniste Halim Faïdi a entrepris une consultation en vue d’un projet d’aménagement de la baie d’Alger et confié au photographe le soin de réaliser un photoreportage. Ce voyage s’est révélé tout aussi artistique que documentaire et technique. D’ailleurs, il ne pouvait ne pas l’être car l’Algérie tout entière est un joyau vue du ciel, comme en a auparavant témoigné Yann Arthus Bertrand Yann Arthus-Bertrand. Le plus beau pays du monde, disait le photographe français ; et Alger, cette ville unique au monde, pas uniquement par son immense baie mais par son urbanisme qui défie presque les lois physique.

Ce qui est terrible, c’est qu’on a beau écumer l’Internet on ne trouve que quelques articles étiques sur les expositions de Kays et rien ou presque sur ses livres, à part quelques paragraphes. En mai 2016, lorsqu’il a organisé son exposition consacrée à la région des Aurès au Palais de la culture, il a eu droit à une maigre couverture médiatique.

Aucun article de presse n’a été écrit sur ce livre de photos, Alger sous le ciel, où figurent pourtant aussi deux textes importants, l’un de Malek Alloula et l’autre, de Nina Bouraoui. Pourquoi cette aphasie, pourquoi ce silence algérien devant l’image ? Même quand Marie-Joëlle Rupp consacre un article au livre dans un quotidien algérien, elle parle des écrivains et occulte le photographe alors que c’est son ouvrage, que ce sont ses photos qui constituent le sujet, les textes des deux écrivains n’étant que des illustrations ou du moins des accompagnements des images. L’incapacité de faire parler des images est-elle une faille algérienne ?

Comme toute vues du ciel, ces photos de la capitale ne sont pas des témoins objectifs que l’on a quand on est en face d’un paysage urbain, d’un édifice… Le survol déforme, et la cartographie même se brouille. Des mastodontes comme la Grande Poste peuvent être identifiés, ou la brouillonne Casbah, ou encore Bab-El-Oued contre laquelle se fracassent des vagues. Les mystères recouvrent certaines photos qui interpellent, et qui donnent un autre aperçu des styles de ce photographe arraché à la vie en pleine maturité artistique.

Kays Djilali est également coréalisateur d’un film documentaire, Le piège, consacré au destin des migrants subsahariens au Maghreb (2006). Un documentaire tout simplement poignant, qui parle des migrants, de leurs morts, leurs souffrances, de la torture qu’ils subissent en Libye, de ceux abattus par les villes de Ceuta ou Mélila au Maroc, les 900 kms et le litre de lait partagé entre 7 personnes, les trafiquants qui les abandonnent à 100 km ou plus en mentant que Tamanrasset est de l’autre côté de la dune… Tamanrasset aussi où les policiers ne sont pas les plus gentils du monde avec les migrants qui doivent se cacher, car ils sont trop nombreux à disputer aux locaux leur pain…

Entre 2006 et 2008, il a discuté avec des migrants issus de plusieurs pays en Afrique, au Maroc, à Paris ou Madrid. En 11 Mars 2009, l’Espace Noun a consacré une exposition aux photographies consacrées à ce sujet dramatique par Kays et Anaïs Pachabezian, une photographe française qui parcourt l’Afrique de l’Ouest depuis plusieurs années et qui a réalisé son premier reportage sur l’émigration entre la France et le Mali. Comme Kays, elle est sensible à la pauvreté, aux problèmes socioéconomiques, aux souffrances engendrées par la famine ou la sécheresse….

Le Courrier d’Algérie

juin 18, 2020 |

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