Journal d’un oublié – Mustapha Bekkouche

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Mustapha Bekkouche fait partie de ces martyrs de la Révolution de novembre qui ont combattu l’oppresseur colonial avec leur arme mais aussi avec leur plume.

Né à Batna le 2 novembre 1930, sa vie sera un long combat qui se terminera par l’ultime sacrifice pour l’indépendance de l’Algérie.
Mustapha grandit dans une famille de la classe moyenne. Scolarisé dans sa région natale, il fera de brillantes études primaires et secondaires et ce, grâce à l’engagement et à la volonté de ses parents qui voulaient que leur enfant accède à l’instruction.
Maîtrisant parfaitement la langue française, il aiguise son savoir, comme on affûte une arme pour mieux la retourner contre l’ennemi.
Nietzsche, Kant mais surtout Spinoza sont parmi ses auteurs favoris. Selon sa fille Fatima : « Ses professeurs voyaient en lui un futur écrivain ou un philosophe, tant ses écrits les laissaient stupéfaits devant autant de richesse d’idées et de clairvoyance ».
Il était pour eux le « Parfait assimilé », le « Parfait Français Musulman’’».
Mais il n’en est rien. Mustapha rêve d’un peuple maître de sa destinée, vivant dans une Algérie libre. Aussi, dès l’âge de 14 ans, il rallie les rangs du Parti du peuple algérien où il découvre le militantisme et l’engagement politique. Peu après, il fait partie des membres fondateurs de l’Organisation Spéciale (OS).
Au lendemain du déclenchement de la révolution armée, coïncidant avec le jour de son 24e anniversaire, il est arrêté par la Police des renseignements généraux de Batna. Soumis à des séances atroces de
« gégène » et de « baignoire », Mustapha Bekkouche est le premier torturé de la guerre d’Algérie. Il dit d’ailleurs à ce sujet : « La torture est ignoble, mais elle est le prix à payer quand on sait qu’au bout il y a la Liberté. »
Incarcéré à la prison de Batna, il est ensuite transféré à la prison du Coudiat (Constantine) où il séjourne durant neuf mois puis à Barberousse (Alger) où il passe dix mois avant d’être jugé puis condamné à trois ans de prison ferme,10 millions de francs et 10 ans d’interdiction de séjour. Révolté par cette sentence inique, il écrit : « L’interdiction de séjour est une chose abominable, l’homme est exclu de sa société, traqué… L’interdiction n’a aucun sens, elle n’est pas faite dans l’intérêt de la société mais contre elle ».
Purgeant sa peine au pénitencier de Berrouaghia (Médéa), il en sort avec une rage décuplée qui le conduit directement au maquis.
Multipliant les missions sur le terrain, il est grièvement blessé lors d’un violent accrochage dans la région d’Annaba. Capturé par les forces ennemies, Mustapha Bekkouche est interné au camp d’El Milia. C’est là qu’il est exécuté le 2 novembre 1960, jour de son 30e anniversaire, après une corvée de bois.

Une vie dédiée à l’écriture et au combat
Passionné d’écriture, Mustapha Bekkouche écrit beaucoup alors qu’il est en prison. Malgré la surveillance des gardiens et le manque de moyen, il s’arrange toujours pour noircir quelques pages, entre poésie, récit de ses journées carcérales mais il lui arrive aussi de laisser la muse l’entrainer sur les chemins escarpés de la vie qu’il décrit parfois à partir des barreaux de la cellule, d’autres fois, avec une vision idéaliste. Ecrire du fond de sa cellule lui permettait de résister à l’horreur coloniale et de résister jusqu’à la délivrance ultime.
Si, nombre de ses manuscrits lui sont confisqués par l’administration carcérale, en raison de leur contenu politique ou même à cause de leur portée philosophique, certains de ses écrits échappent à la censure.
Quarante ans après sa disparition, Journal d’un oublié, paraît aux éditions Anep. Préfacé par sa fille Fatima Bekkouche, ce journal écrit en 1955 alors qu’il se trouve à la prison du Coudiat, est un message d’outre-tombe envoyé par ce héros de la guerre de libération à une génération post-indépendance qui doit garder un lien fort avec son passé car, qui sait d’où il vient, ne se perd jamais sur les routes de l’avenir.
Cet ouvrage – très fort – résume la pensée du chahid Mustapha Bekkouche. On y lit, en substance : « Rien de plus grossier que de répondre à une grossièreté par une autre. Les mots les plus vulgaires et les expressions les plus grossières sont les plus faciles à retenir et les plus utilisées dans le langage humain. Ce qui manque le plus aux hommes, dans le langage ou dans tout ce qu’ils font, c’est le sens de la mesure. » A propos de son incarcération, il écrit : « Nous sommes des fous, internés parce qu’un peu plus fou que les autres. Mais notre folie a un sens : c’est vouloir sortir les autres de leur propre folie », et d’ajouter : « La porte vient de se refermer sur nous. C’est curieux, mais ne me sens moins prisonnier dans la salle que dans la cour où je marche toujours seul ».
Suivra Message d’outre-tombe et autres nouvelles, (Anep, 2004), un recueil où Mustapha Bekkouche évoque les pulsions de la vie puis, en 2017, paraît chez le même éditeur, Le passeur de rêves, un recueil d’une quarantaine de poèmes, où l’on découvre cette facette sensible du martyr. Il écrit en substance :
« Si j’ai oublié ma maison/ une femme, des enfants et un toi/ Liberté c’est pour toi » ou encore « Je ne t’écoutais pas lorsque tu me disais contre la raison, quand le cœur se rebelle ; beaucoup plus que la vie, que la mort parait belle ».
Dans « Un bon singe », long poème de 400 vers, le poète-chahid, Mustapha Bekkouche fait l’autopsie de la société de l’époque, fustigeant l’injustice et l’iniquité coloniale : « Il est né au bon moment/ ses bons parents et leur bon magot/ firent de lui un bon bourgeois/ Il parlait en bon chrétien, mais agissait en bon comédien », « Les bons patrons et leurs bon ouvriers/ qu’ils trouvent bon d’exploiter/ un sourire au coin de la bouche/ le fouet dans la bonne main ». « Les bons sujets des colonies/que les bons pionniers ont conquis/ pour le bonheur des autochtones/ les bons pousse-pousse d’Indochine/ les bons esclaves de Haïti/ Les bons nègres du Sénégal/ Ses bons arabes aux grands turbans/ ne sont pas bons à la gestion », écrit-il.
Le passeur de rêves, c’est aussi, des cris d’amour et de passion de l’auteur pour ses enfants. Pour sa femme, il écrit : « Celle que jamais je ne revis/ en partant me donne un dernier baiser/ longtemps j’ai pleuré dans le profond silence/ Une lueur soudain à mes yeux apparu/ Le sombre cachot en fut illuminé ». « Ses cheveux sont noirs comme l’ombre de la nuit/ son front aussi pur que l’étoile qui luit ». « Mon cœur à la dérive sur l’océan de l’amour/ Ô belle pour qui me submerge la passion ».

Hassina Amrouni

Sources :
http://lesamisdelavilledemedea.blogspot.com/2016/11/je-partage-avec-vous…
http://sudhorizons.dz/fr/la-destination-algerie/histoire/30681-le-passeu…
*El Watan 15/07/2004

octobre 24, 2018 |

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